Speed Writing #2
Speed Writing #2

Speed Writing #2

Contexte : écrit réalisé lors d’une séance de Speed Writing (écrire le plus possible en un temps limité sur un thème donné aléatoirement) le 22/01/2025

Thème : Un homme entend une voix dans sa tête.

Durée : 25 minutes

À chaque fois que Jacques marchait dans la rue c’était la même rengaine, peu importe qu’il pleuvait, que le soleil écrasait le bitume, que le brouillard atténuait les formes et les contours transformant les passants en spectres ou la ville en ruines, quelque chose le chatouillait dans l’oreille, quelque chose le démangeait, lui faisait taper du pied par terre, qu’il soit devant une vitrine de chaussures, un restaurant, au bar avec une rombière ou simplement en train de tourner les pages d’un canard quelconque, on lui chuchotait des choses dans l’oreille. Enfin c’est ce qu’il racontait, mais la vérité était bien plus terrible. On lui murmurait réellement des choses dans l’oreille. Une voix étrange, proche de la sienne, plus féminine peut être, une voix oubliée, une rumeur venant d’un temps perdu, qui venait d’on ne sait où, de son cerveau dérangé par une vie de labeur, de ce monde malade qui pouvait engendrer les pires démences, de démons peut-être, si les démons pouvaient exister. Mais il entendait des voix.

Un beau jour alors qu’il se promenait justement dans le centre-ville, un centre magnifique, avec un large terre-plein bordé d’arbres eux-aussi magnifiques, et qu’il était, chapeau sur la tête, en train de tourner les pages du canard de la ville, il se gratta l’oreille, un coup à droite, un coup à gauche, et pressentit le pire. Il continua de marcher en claquant du talon un pas sur cinq comme un métronome idiot, et soudain il entendit : « Regarde, là, oui. Regarde, devant toi, ce vieux, ce vieux bonhomme, cette barbe idiote, blanche comme la neige, sale comme la pluie. Regarde-moi ça. »

Il secoua la tête, essaya de se sortir des vers de l’oreille, pour ainsi dire, et bien qu’il essayât de n’accorder aucune attention à ce qu’il venait d’entendre – peut-on vraiment entendre ce genre de chose – il chercha du regard, feignant de bien chercher quelque chose, et vit, juste devant lui, un vieil homme, marchant à l’aide d’une canne, un manteau décousu sur le dos, et une barbe, sale, grise, d’un blanc usé, comme fatigué. Il secoua la tête, se dit que ce n’était qu’une coïncidence, encore, comme la fois précédente, comme toutes les fois précédentes, qu’il avait sûrement vu le bonhomme quelques minutes avant, peut être même quelques secondes avant, et que sa conscience lui avait suggéré quelque chose, lui avait décrit ce qu’il venait de voir en réalité. Mais aussitôt, un grésillement reprit et lui souffla : « Il mime ! Ce clown ! Ne crois pas ce clown ! Il mime. Cette canne. Ce n’est pas vraiment une canne. C’est un sketch, une illusion. Il se moque de toi. Il se fout de toi ! Comme tout le monde. »

Jacques secoua la tête, à gauche, à droite, se tapa le front, se demandant s’il entendait réellement encore une fois cette voix – car comment être certain, comment être certain de cette folie – et poursuivit son chemin jusqu’à arriver à quelques mètres du vieil homme. Et soudain, à nouveau, encore plus fort, encore plus pressant, comme si on avait amplifié le son ou la fréquence ou la portée : « Il se moque de toi, Jacques ! Comme tout le monde ! Il t’humilie ! Prouve-le ! Tu peux le prouver simplement, tu peux renverser l’histoire, renverser le monde ! Tu peux montrer à tous que toi tu connais la vérité, que tu as une vision véritable du monde, que tu n’es pas un vieux bonhomme avec une canne, que tu connais la vérité ! Que tu ne crois pas une seconde aux vieux bonshommes avec une canne, que tu vaux mieux que cela, que tu es au-delà de ça, au-delà des vieux bonshommes, au-delà des cannes, au-delà des mensonges. C’est facile. Tu peux montrer enfin la vérité au monde. D’un geste. Simple. D’une pichenette. Montre-leur ! »

Et sans comprendre pourquoi, comment, pour qui, pour quelles raisons, de quelle volonté, Jacques, juste à côté du vieux bonhomme, qui avait la mine fatiguée, appuyant tout son poids à chaque pas sur cette canne, martelant le sol d’un lourd, d’un tac, tac, tac, à chaque pas, si bien que le tac, tac, tac martelait aussi l’esprit de Jacques et que le tac, tac, tac résonnait dans sa tête à une vitesse folle que le tac, tac, tac devenait de plus en plus, de plus en plus idiot, de plus en plus irréel, et sans comprendre réellement pourquoi, il mit un coup dans la canne juste avant qu’elle ne touche le sol, avec un sourire moqueur, cynique, attendant de voir le bonhomme se redresser d’un coup, l’insulter, et lui prouver qu’il avait raison.

Sans réfléchir, en une micro seconde, juste avant que la canne n’atteigne le sol, le pied de Jacques vint taper la canne du vieil homme, qui, pris dans son élan vint s’étaler sur le sol incapable de s’agripper à quoi que ce soit, et le bitume reçut son nez presque avec plaisir, nez qui s’ouvrit dans un jaillissement de sang et le dentier jaillit lui aussi, de sa bouche, comme un diable jaillissant de sa boite. Devant cette violence et la surprise et la terreur des passants, des voisins, de tout le monde autour, Jacques prit ses jambes à son coup et se sauva, pendant que son oreille le chatouilla à nouveau, et qu’une voix, lointaine, moqueuse lui souffla : « Bravo Jacques. Tu es un héros. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *