Loufbroc contre le monde
Loufbroc contre le monde

Loufbroc contre le monde

Loufbroc contre le monde


En ce lundi matin, comme tous les lundis matin depuis une dizaine d’années, un homme d’une banalité affligeante, portant pull à carreaux, pantalon gris délavé, embonpoint et fatigue chronique, vivant encore chez sa mère, se rendait dans l’hypermarché du coin faire ses provisions.

Monsieur Loufbroc avait les cheveux grisonnants, s’évaporant de son crane un peu plus chaque jour, signe que la vieillesse s’installait, mais aussi que les tourments et les ravages de la vie ne quittaient guère cet homme.

Ce matin-là, il n’était plus qu’une boule d’angoisse, tournant parfois sur lui-même sans savoir pourquoi, prenait un article quelconque pour le reposer aussitôt, marchant d’un rayon à un autre en se grattant la tête, en pensant à ce que son patron allait bien lui réserver comme surprise.

Bigre de bigre, se dit-il. Je le vois déjà de son bureau me hurler dessus avant même que je ne m’installe, crier au scandale pour un retard inexistant et mettre en cause ma tenue vestimentaire. Bigre de bigre, c’est intolérable. Il faut faire quelque chose…

Certes, mais Monsieur Loufbroc n’était pas du genre à tenter quoi que ce soit, à remettre en cause l’ordre normal du monde, à se rebeller, à faire face au destin ou à montrer le poing. Pourtant, comme toute chose ne peut durer éternellement, comme un homme ne peut jamais tendre la joue infiniment sans que l’esprit ne finisse par dire stop, ce jour-là, cet esprit qui n’en pouvait plus allait enfin prendre les choses en main.

Alors qu’il était sur le point de prendre son pain et de partir, une chose terrible renversa le cerveau de Monsieur Loufbroc comme un tsunami, le dévasta, lui fit penser les pires abominations, les horreurs les plus terribles. Il hurla. Intérieurement, car tout de même… Sa baguette était encore une fois terne, presque blanche, molle, manquant de cuisson, cuite à la va-vite pour ainsi dire, posée là comme on jette de la nourriture à des pauvres ou à des cochons. Une insulte. Une gifle. Une explosion.

Bigre de bigre !, se dit notre homme. Qu’est-ce qu’on me sert là encore ? Un homme respectable tel que moi ! N’ont-ils pas honte ? Ne peut-on pas offrir un peu de dignité en même temps qu’une baguette ? Ne reste-t-il plus rien en ce monde à quoi se rattacher ? Si on accorde même plus d’importance aux choses les plus élémentaires !

Si d’apparence il sembla toujours calme, serein, comme juste un peu perdu dans le magasin, et que les autres clients ne remarquèrent pas la terrible colère qui inondait cet homme, Loufbroc était sur le point de renverser complètement sa vie, et le monde avec.

Il tournait sans cesse dans le rayon boulangerie espérant trouver un des employés, coupable de ce crime indécent commis quelques instants plus tôt. Loufbroc allait lui régler son compte, l’attraper par le col et lui mettre la baguette mi-cuite sous le nez.

Qu’il comprenne ! Il faudrait le renvoyer oui !

Rien. Personne ne se montrait et les minutes passaient, si bien que Loufbroc tapait du pied par terre, pour montrer son impatience et regardait sa montre toutes les dix secondes, voyant le temps passer, son retard au bureau grandissant et imaginant déjà la tornade qu’il prendrait par son patron en arrivant.

Loufbroc patienta quelques minutes de plus devant l’entrée des boulangeries, et n’en pouvait plus, ne tenait plus en place, et de terribles idées germaient dans son esprit. Non seulement le manque de cuisson de la baguette le rendait furieux, mais cette colère, et sa vie chaotique des derniers mois avaient entraîné des désirs de transgression, de liberté, de défi.

Qu’y avait-il derrière ces rideaux de plastique ? Cette question depuis plusieurs semaines le turlupinait. Il se demandait tous les lundis en choisissant sa baguette, quel monde pouvait-il bien y avoir derrière ces longues bandes de plastique. Des machines certes. Mais tout de même. Et pourquoi aucun client n’a jamais eu la curiosité de s’y rendre ?

La peur, pensait Loufbroc. Ah. Bigre de bigre, ce n’est pas la peur qui retient le monde de passer derrière le rideau et de voir enfin ce qu’il s’y trouve. Mais je tiens là une réelle excuse. Une occasion. Avec cette baguette toute molle, j’ai de quoi me plaindre pour de bon. Et fi de la morale. La morale n’est qu’une baguette pas assez cuite. Mais tout de même. C’est là un sacré risque. Que se passe-t-il une fois la limite franchie ? Car ce n’est qu’un rideau. Et encore. Un rideau ridicule. Du vulgaire plastique. Mais il y a là bien plus qu’un rideau. Il y a là le dépassement de l’ordre établi. La remise en cause de tout un système. Le défi des lois et de la moralité. Franchir ce rideau serait comme mettre un pied dans un univers inconnu, c’est quitter l’humanité soumise et apeurée !

Loufbroc trépignait de plus en plus, gigotant sur place, se grattant la tête, intriguant les quelques rares et vieux clients qui passaient par là en ce lundi matin, faisant même les gros yeux à une vieille femme voûtée qui venait chercher sa baguette. Si l’idée le séduisait, et s’il avait enfin la possibilité de prendre en main sa vie, tout de même, il était un homme respectable même s’il était le martyr de son patron, et la risée de sa pauvre mère, c’était un homme sans histoire, simple, toujours dans les clous.

Les clous, se dit-il. À quoi mènent les clous ? Les clous ne mènent qu’à une chose. À des baguettes molles. Bigre de bigre. Il faut bien que quelqu’un prenne les choses en main. Et il semblerait que ce quelqu’un ne peut être que Loufbroc en personne. Et puis… Quand on porte un nom pareil, on doit savoir se montrer grand.

Loufbroc s’avança, à tâtons, vers le rideau de plastique, et avec cette baguette en main, blanche, terne, pas cuite, il poussa un des pans du rideau, tremblant de tous ses membres, zieutant que personne ne le surprenne, et après avoir respiré un grand coup, s’engouffra dans un monde nouveau, pensant avoir franchi là un point de non-retour.

Dans cette salle mystérieuse, objet de toutes les idées bizarres et de tous les fantasmes, dans l’obscurité, des machines ronronnaient de toutes parts, des fours somnolaient, attendant les ordres, des diodes rouges et vertes clignotaient de-ci de-là, et Loufbroc fut pris d’un grand vertige. Il avait osé. Pour la première fois de sa vie, ou vraiment pas loin, il avait transgressé des règles, et pas n’importe lesquelles, il avait transgressé les lois de l’ordre et de la morale. Les lois de la boulangerie. Les lois du pain et du vin. Les lois divines, la justice, la peur. Il avait atteint les plus hautes cimes du courage en cet instant qui faisait maintenant de lui un autre homme.

Loufbroc était fier de lui, mais aussi angoissé, un employé pouvait surgir à tout moment, et il aurait à s’expliquer. Il était urgent de faire vite. Sur un tapis roulant, des dizaines de pâtes à pain rectiligne attendaient leur tour, pour passer à la casserole pour ainsi dire, et être transformées en baguettes. Sans réfléchir, et avec la ferme conviction d’agir là pour le bien de l’humanité, Loufbroc, bondit vers le four, trouva facilement un minuteur sur lequel il prolongea la durée indiquée, et, bombant le torse, il frappa de son poing, comme on brise la tablette des lois, le gros bouton rouge qui mis la machine en route.

Le four s’activa, lâcha des jets de vapeur, avala le tapis roulant, et sous les yeux ébahis de Loufbroc, les pâtons blancs, froids, et ternes se transformaient en baguettes rudes, dorées, et magnifiques.

Quelques minutes plus tard, au moment où des employés revenaient de leur pause, les baguettes sortirent du four, fumantes, croustillantes, cuites à point. Loufbroc sauta sur la marchandise, conscient qu’il ne fallait pas rester une seconde de plus ici, attrapa une baguette parfaite, et sortit fièrement du magasin avec ce qui constituait là un signe de pouvoir. Un signe de rébellion. Un signe qu’il était maintenant le maître de sa vie. Il était prêt à faire face au monde entier.

Loufbroc se hâta de se rendre à son bureau qui se trouvait juste à quelques pas de l’hypermarché, et à peine franchit-il la porte qu’une voix de dragon retentit depuis l’autre bout des locaux.

« Loufbroc ! Nom de nom ! Est-ce une heure pour arriver au boulot ? hurla son patron. »

Il attendait de pied ferme son employé, se tenant debout sur son bureau prêt à sauter comme un tigre, et quand son employé arriva, l’air heureux, pas du tout gêné d’un tel retard, une baguette idiote sous le bras, il lui jeta tout d’abord un regard circonspect, puis hurla à nouveau :

« Nom de nom ! Qu’est-ce que c’est que cette dégaine ? Qu’est-ce que c’est que cette tenue… »

Vlan !

Le coup de baguette était parti, lâchant des miettes et marquant le visage du patron de quelques griffes et d’une rougeur sur le coin de l’œil. L’homme se frotta la joue, se demandant ce qu’il venait de se passer. Le sceau de la justice venait de frapper. Il y avait maintenant quelqu’un en ce monde pour rétablir un peu d’ordre, pour rétablir la paix, pour inverser les valeurs, pour redonner du courage aux faibles et aux déshérités.

« Nom de nom ! Loufbroc ! De quel droit ? Un petit homme comme vous ! D’ailleurs… Est-on encore un homme avec un nom pareil ? Loufbr… »

Vlan !

Nouveau coup de baguette. Sans même un mot de celui qui venait de corriger son supérieur. Comme si le geste en lui-même suffisait. Qu’une explication aurait été superflue. Qu’il n’y avait là qu’un homme qui remettait les choses en place dans ce monde, en commençant par retrouver sa dignité.

Le patron se frotta à nouveau sa joue, qui commençait à saigner sous les écorchures de cette baguette dure comme du roc et capable de dresser des bêtes sauvages. La surprise passée, il recula tout d’abord d’un mètre, regardant son employé comme on regarde un fou, puis attrapa son manteau et courut vers une porte dérobée en hurlant qu’il reviendrait avec qui de droit, forces de l’ordre, maire, président et ministres s’il le fallait.

Quand il se retrouva seul dans le bureau de son chef, Loufbroc souffla un bon coup, et s’assit sur la chaise royale qui l’impressionnait tant depuis son arrivée. Il s’assit à cette place qu’il jugeait importante, pendant que les autres employés s’agglutinaient autour de ce bureau entouré de parois en verre, collaient leur visage pour voir à l’intérieur comme on regarde un poisson étrange dans un aquarium.

Bigre de bigre, se dit-il. Voici l’homme. Voici celui qui prend le pouvoir par la puissance de sa volonté. L’homme fait pouvoir. L’homme fait dieu pour ainsi dire.

Loufbroc tournoya sur la chaise en se faisant pousser à l’aide sa baguette, comme un roi fou, et cria, à une secrétaire imaginaire :

« Janine ! Apporte-moi un café ! Et bien cuit ! »

Il tapa sur le bureau avec sa baguette, se releva, chercha quoi faire de cette nouvelle qualité de chef qu’il venait d’acquérir par une violence qu’il découvrait, se mit devant la fenêtre qui surplombait la ville du haut de ce sixième étage, et se sentit comme un aigle volant seul dans les plus hautes cimes.

Ces brebis, se dit-il en voyant toute la masse de piétons dans les rues se rendant au bureau ou errant comme des êtres perdus qu’il fallait guider.

Il souleva sa baguette vers le ciel comme pour la montrer au monde, et vit là plus qu’un trésor, une arme de guerre contre la faiblesse, contre le manque de courage, il vit là, le bâton guidant le peuple.

À ce moment-là, tout en bas, des gyrophares attirèrent l’attention de Loufbroc, et des policiers guidés par le chef qui montrait l’immeuble où il se trouvait, lui firent comprendre qu’il était temps de quitter les lieux, et de poursuivre sa destinée.

Loufbroc prit les escaliers de secours à l’arrière du bâtiment, en montrant son poing aux forces de l’ordre qu’il voyait grimper à l’intérieur, et se retrouva dehors, seul, libre, fort comme un lion.

Bande de crétins, pensa-t-il. On n’attrape pas un lion avec des plumes.

Une fois tranquille, serein, libéré, la baguette à la main, le ciel bleu au-dessus de sa tête, une douce brise en ce jour d’été, Loufbroc déambula dans les rues en respirant à pleins poumons comme s’il respirait pour la première. Plus rien ne semblait pareil, l’air avec le goût de miel, ses pas étaient légers, souples, vifs, sa posture droite, il tenait sa baguette bien haute, comme un trophée. L’homme enfin libéré de ses carcans et de ses chaînes marchait dans les rues comme un seigneur.

Soudain, un chien, tenu en laisse par une vieille dame au chapeau rose, minuscule, agressif, virulent, au poil blanc frisé et au regard teigneux, se mit à aboyer sur cet homme étrange et sa baguette. Le chien dû voir là un ennemi, un pourfendeur de l’ordre et de la morale, et lui bondit dessus sous le regard effrayé de la vieille femme qui se retint de pousser un cri.

Vlan !

Un coup de baguette partit et vint assommer le chien qui gisait les quatre fers en l’air, la langue pendue, gesticulant une patte de temps à autre. La vieille dame montra les dents, puis le poing, et se jeta sur l’agresseur de son petit bijou, en criant à « l’assassin ».

Vlan !

La vieille femme se retrouva par terre elle aussi tandis que le chapeau rose à fleurs vola à deux mètres de haut avant de redescendre s’écraser sur le trottoir comme une feuille morte emportée par le vent.

Bigre de bigre… Que périssent les faibles et les ratés, jura Loufbroc intérieurement.

Il poursuivit sa route, marchant au hasard des rues, au gré du vent, libre comme jamais, n’ayant ni dieu ni maître, et se laissait envahir par ce pouvoir auquel nul ne résistait.

Une jeune femme en belle robe courte croisa sa route ; Loufbroc usa de sa baguette pour soulever le tissu et jeter un coup d’œil salace aux fesses de la dame. Un homme trapu, bien portant, et garant des mœurs et de la morale toisa notre homme ; Loufbroc tint sa baguette comme une pique et lui fit valser son haut de forme.

Plus rien n’arrêtait notre homme. Mais le plus étrange, et le plus farfelu, c’est que d’autres hommes se mirent à marcher au pas derrière lui. Peut-être impressionnés par cette nonchalance, par cette subversion, par cette immoralité, ou par cette baguette qui permettait dans de choses. Il y avait maintenant une dizaine, puis une vingtaine et même une cinquantaine d’hommes qui marchaient derrière celui qu’ils voyaient comme un libérateur. Toute une armée de ratés, de damnés, d’hommes enfin libres, clodos du coin, ivrognes de bon matin, fous, sauvages, pervers, qui dévalisaient les boulangeries au passage pour se munir aussi d’une baguette.

La rue était remplie de cette marée d’êtres n’ayant plus rien à perdre, ou rien d’autre à faire, et convaincu de détenir là un pouvoir nouveau, de prendre une revanche sur la vie, d’être au-delà de toute morale, de bien ou de mal. N’ayant juste en tête et dans les veines qu’une fureur de vivre, de vivre enfin, de rattraper le temps perdu, faisant fi de toutes conséquences.

Au fur et à mesure que les rangs grossissaient, que les rues étaient remplies d’un vacarme impossible, que les baguettes s’accumulaient, l’odeur du sang et des pulsions les plus basses remplissaient le cœur de ses hommes et les poussaient aux actes les plus vils. Des passants furent massacrés, des femmes agressées en pleine rue, en plein jour, en plein soleil, sous des arbustes ou au pied des fleurs. La ville était à feu et à sang et tombait sous les coups de baguette de ces hommes sans foi ni loi. Deux bonnes heures plus tard, alors que toutes les boulangeries étaient vandalisées, que des hommes gisaient dans leur sang, que des femmes pleuraient, terrorisées et prostrées dans des coins sombres, les forces de l’ordre se montrèrent enfin. Des wagons entiers de véhicules, gyrophares tournant comme jamais, s’arrêtèrent devant la horde de fous furieux, de bandits, d’hommes libres, qui attendaient la confrontation.

Les policiers n’avaient jamais vu ça, les hommes qui leur faisaient face n’étaient plus des hommes, mais des animaux, des bêtes sauvages, comme s’ils savaient qu’ils jouaient là leur dernière danse, que toute leur vie d’errance, de misère, d’esclavage ou de solitude les avait conduits ici, en ce lieu, en pleine rue, une baguette à la main, pour montrer au monde que la lutte était possible, qu’il ne fallait pas se résigner, qu’il fallait mordre.

Face à une telle violence, et face à ces baguettes quasiment acérées qui volaient en éclats à force d’être utilisées comme des gourdins, les forces de l’ordre durent faire feu et entamèrent un véritable massacre.

Tac tac tac ! Vlan ! Tac !

Les émeutiers n’eurent aucune chance. Les coups de feu partaient de toute part, transperçant des dizaines d’hommes, brisant des centaines de baguettes, abattant sur cette foule en furie le marteau de la justice, le poing de la loi.

Loufbroc, de son côté, s’était fait tout petit, depuis que son armée pour ainsi dire avait mis à sac la ville, et dans un éclair de lucidité ou de couardise, avait mis les voiles, à la vue des gyrophares.

Il avait assisté au carnage de loin, les épaules tombantes, une larme à l’œil, la baguette à la main.

Bigre de bigre, se dit-il. Tout cela est de ma faute. Je ferai mieux de me faire tout petit.

Il prit le chemin vers son domicile, alors que le soleil commençait à se coucher, colorant le ciel d’un voile doré.

Comme une baguette bien cuite, se dit Loufbroc.

Juste avant d’arriver chez lui, une vieille femme, aux vêtements en lambeaux, faisant la manche dans la rue depuis des années, l’interpella à son passage, et lui demanda :

« Oune pétite pièce, mon sieu. »

Loufbroc la regarda, fatigué, les envies de pouvoir évaporées, et lui tendit ce qu’il restait de sa baguette, et donc de sa volonté. À peine l’eut-elle entre les mains, que la vieille femme croqua dedans comme une morte de faim et lui dit d’un sourire sans dent :

« Mirci mon sieu. Mirci boucou. »

Devant un tel geste d’altruisme, un tel acte, un tel héroïsme, un tel abandon de soi, un tel sacrifice et face à tant de chaleur en retour, tant de reconnaissance et comme touché en plein cœur, Loufbroc versa une larme, mis un genou par terre, et dit :

« La baguette sauvera le monde. »

Sous les yeux de cette vieille dame, qui se dit quelque chose comme « diconne pas non plou fils », Loufbroc poursuivit son chemin, s’affaissant peu à peu à chaque pas, sous le crépuscule naissant, comme une idole perdant peu à peu de son éclat.

Après toutes ces émotions, et cette journée tellement éprouvante pour le cœur de cet homme, il ouvrit enfin la porte de chez lui pour un repos bien mérité.

Mais à peine entré… Vlan !

Une baguette vint s’écraser sur son crâne. Loufbroc ne comprit pas ce qu’il se passait, se protégea de ses deux mains, et vlan ! Un deuxième coup sorti de nulle part vint presque l’assommer.

Aussitôt, une voix de marâtre, tremblotante, mais pleine de colère, lui hurla :

« Ah le fils de rat ! Je vais t’en filer moi des coups sur la tête ! Le travail a appelé ! S’en prendre à son propre patron ! Nom d’une baguette ! »

Loufbroc sut qu’il ne lui restait qu’une seule chose à faire, fuir, très vite, s’enfermer dans sa chambre, fuir cette furie qui ne lui laisserait aucun répit !

Vlan ! Vlan ! Les coups pleuvaient tandis qu’il courait pour se cacher, toute force, toute détermination, toute volonté envolée.

« Qu’il se cache oui ! Comme son père ! Pas un homme ! Est-on encore un homme quand on s’appelle Loufbroc ? On est un sous-homme, oui ! cria sa mère, en levant la baguette bien haut comme on s’apprête à donner un coup de marteau. »

Loufbroc, à bout de force, s’affala de tout son être sur son lit, dans le noir complet, le corps tremblant de partout, marmonnant des choses incompréhensibles, puis dans un demi sanglot murmura : « Bigre de bigre… ».

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